L’Opéra Bastille
On ne présente plus cette salle d’Opéra construite par François Mitterrand pour rajeunir ce style artistique initié par la Camerata Fiorentina au XVIIè siècle et cantonné au Palais Garnier depuis Napoléon III.
Le choix de cette place ne fut pas anodin, la politique étant souvent faite de symboles.
Pour l’anecdote, une élève ne sachant pas comment rejoindre L’Opéra Bastille, des camarades lui ont fait un petit cours improvisé d’Histoire et de géographie.
Au commencement était Buñuel
Le réalisateur hispano-mexicain (qui aura plus tard sa période française) Luis Buñuel (1900-1983) aurait tiré son idée de « confinement » (et oui, déjà !) du Roman Mort à Venise (1912) de Thomas Mann, qui traite de l’enfermement mental (désirs religieusement et culturellement incompris à cette époque d’un écrivain de renom) doublé d’un confinement physique (épidémie de Choléra).
L’histoire est celle d’un groupe de bourgeois qui sont invités manger chez l’un d’entre eux en compagnie de la chanteuse lyrique vedette après avoir assisté à l’Opéra Lucia de Lammermoor de Donizeti.
Or à la fin du repas, il n’arrivent pas à quitter le salon en dépit d’une porte grande ouverte.
Leurs instincts les plus primitifs ressortent crescendo jusqu’à la quasi célébration d’une mise à mort sacrificielle à la fin.
Buñuel est bien le maître de la mise en abîme, l’Opéra de Donizetti étant aussi l’histoire d’un repas (de noces) qui se finit très mal puisque l’héroïne apparaît en plein dîner un poignard à la main, avec lequel elle vient d’assassiner son tout nouveau mari dans leur lit de noces.
Silvia Piñal, personnage vedette du film et grande actrice mexicaine née en 1931 et encore en vie, affirmera dans plusieurs entretiens que Buñuel est le précurseur de la première émission phare de la Téléréalité aux Etats-Unis, « Big Brother » (« Loft Story » en France).
Et en effet, même si l’idée de huis-clos (terme juridique datant de 1549) n’a pas attendu Buñuel (le Huis-Clos de Sartre date de 1944, Les Enfants terribles de Cocteau de 1929, L’Ile des esclaves de Marivaux de 1725, et on en oublie), la spécificité de notre cinéaste surréaliste c’est que chez lui l’enfermement est uniquement mental, puisque la porte de son salon est GRANDE OUVERTE !
Chez Sartre, Cocteau et Marivaux, l’Allégorie est politique, psychologique, philosophique. Mais quel est le métaphorisé chez Buñuel ?
Nul ne le sait véritablement, et lui-même non plus d’après Silvia Piñal, qui dans la même interview dira qu’il fut impossible de lui soutirer le moindre indice à cet égard pendant tout le tournage en 1963.
Buñuel parle-t-il de la bourgeoisie embourbée dans ses préjugés, de la situation politique mexicaine inextricable à son époque, de l’être humain emprisonné sur cette terre, de l’âme enfermée dans le corps, voire même d’un « bad trip » suite à une prise d’hallucinogènes -dont on sait, sans en faire une généralité, que d’après leurs propres dires certains Dadaïstes et Surréalistes ont usé- ayant mal tourné, ou alors simplement met-il en scène un rêve fou ?
De même, le clin d’œil apocalyptique du titre de l’œuvre (auquel fait écho une référence aux Valkyries au début du film -ce qui d’ailleurs donne à nouveau sa cohérence à la transformation de ce film en Opéra-) peut donner lieu à une multitude d’interprétations faute d’une explication claire de l’auteur.
Finalement, une autre référence à l’Opéra, quoiqu’indirecte, à noter, est que la Sonate (que l’un des convives « nouveau riche » du film déshonore en la nommant « Pizzicato » et se fait admonester pour cette raison) qui marque l’entrée (puis la sortie) dans le « Bad Trip » appartient au compositeur Domenico Scarlatti (1685-1757), réformateur de l’Opéra ayant posé les bases de ce qui deviendra à proprement parler l’ « Opéra » un siècle après les débuts de la Camerata Fiorentina ci-dessus évoquée.
Notre Opéra
Cet Opéra est extrêmement moderne puisque datant de 2016.
Les TMC2 ont eu l’insigne privilège d’assister à l’une des deux seules Mises en Scène ayant été réalisées, la première d’entre elles ayant été une triple création puisque le Livret a été écrit, mis en musique et mis en scène à l’occasion du prestigieux Festival de Salzbourg à l’été 2016.
Le premier spectacle était plus proche du film (les personnages étaient habillés et maquillés comme dans le film -pourtant en noir et blanc- et leur ressemblaient). Du coup il était plus facile de comprendre l’Opéra.
A cet égard, une critique que l’on peut formuler à l’endroit de notre Pièce est le manque d’images du film : il eût été intéressant de temps en temps de projeter quelques passages ou au moins quelques photos du film, ne serait-ce qu’en arrière-plan (ou en hauteur), pour rendre l’Opéra plus compréhensible.
L’intérêt pour les TMC2 :
Un mauvais rêve pour les élèves que de rester figés deux bonnes heures devant un Opéra, quoiqu’étant très bien placés dans la salle ?
Avec une œuvre plus que moderne et rompant toutes les règles musicales (notons la présence étonnante d’« ondes Martenot », instrument électronique inventé en 1928 mais très peu ou pas utilisé dans des Opéras) et thématiques de l’Opéra, même contemporain, et de plus tirée du plus hermétique des films d’un cinéaste Surréaliste et surréaliste : tous les ingrédients sont là pour une sortie peu réussie.
Ils auront de plus été plongés dans cet univers cauchemardesque dans cette version postérieure musicale sans aucun point d’accroche donné préalablement, ce qui leur a certes permis d’être confrontés à cette œuvre révolutionnaire l’esprit vierge de tout préjugé initial, mais n’en a pas moins accru la difficulté de cette échappée artistique.
Les craintes des accompagnateurs ont heureusement été démenties par des élèves certes décontenancés mais cherchant à en savoir plus, à comprendre le sens de telle ou telle scène tombant « comme un cheveu dans la soupe ».
Un élève notamment s’interroge sur les pattes de poulet manipulées par deux chanteurs vers la fin. Il s’agirait d’un symbole kabbalistique puis franc-maçon pour ouvrir des portes spirituelles. Le fétichisme est l’un des poncifs de Buñuel dans ses films.
Un autre ne comprend pas l’omniprésence du mouton et de l’ours. Le mouton représente chez l’anticlérical Buñuel les fidèles rentrant dans une église, et l’ours la force de l’instinct animal chez l’Homme. Il faut noter que dans la mise en scène de 2016 il y avait un vrai ours et de vrais moutons sur scène !
Tout ceci a finalement décidé le professeur d’espagnol et responsable du Club à monter une Séquence Buñuel (en accord avec la partie du Programme de Bac Pro « La découverte d’autres cultures, la compréhension de l’autre, la socialisation et la citoyenneté ») pour les accueillir en beauté à leur retour de Stage.
Pour le côté pratique, cette œuvre est parsemée de « gags » -s’inspirant des spectacles de clowns qu’il admirait- que Buñuel aimait à insérer au sein de films traitant pourtant de sujets aussi sérieux que la folie, sa « marque de fabrique » l’anticléricalisme, la pauvreté suscitée par l’essor du Capitalisme..
Le serveur qui fait tomber le plateau tout au début suscitant l’hilarité des convives qui croient à une mise en scène -la Mise en Abîme étant comme on l’a dit un ressort habituel chez Buñuel-, les deux scènes répétées presque à l’identique par deux fois -mais d’une manière grotesque la deuxième- pourront être réinvestis par les élèves lors de leur Rédaction du Bac de Français sur la thématique du Jeu.
Xavier Carrasco
Enseignant de Lettres-Espagnol